Est-il fort, beau, intelligent ? Rien de tout ça. Il est cloné. Les humains ont inventé les robots, machines de ferraille et de câbles, puis les clones, machines de chair, de sang, d'esprit ; de cœur, pas toujours, mais d'esprit, oui. Alors puisqu'on l'a doté d'une pensées, il pense. Il réfléchit, cherche un sens à ces combats, ces jeux, cette vie contrôlée et commandée à distance. Car au final, est-ce là ce que l'on nomme la vie ? Il doute. Comme toujours, d'ailleurs. Il est méfiant, solitaire, attentif, réfléchi. Pourtant lorsque le départ est donné, que l'autre, comme lui, s'avance au centre de l'arène, les questions s'enfoncent si profondément dans les obscurs méandres de son esprit qu'on ne les distingue plus. Alors la machine de chair, de sang, de meurtre, dirige la souillure qu'il devient. Et lorsqu'enfin, épuisé, contemplant avec une satisfaction étrangère le corps étendu à ses pattes, maculé de sang poisseux, il revient à lui, son sourire qui ne lui appartenait pas s'efface subitement, et il s'écarte de cet être à défaut de pouvoir s'écarter de lui-même.
Des abîmes comme celle-ci, il en a vécu des tas. A chaque fois qu'il est enfermé dans la chaleur, la poussière, les huées des humains, les voix robotisées des commentateurs, et qu'en face de lui, un autre grogne, il se perd un peu plus. Qui ne s’égarerait pas ? Les parois rocheuses sont si lisses, douces et chaudes au toucher. Comme pour mieux précipiter ses proies au fond. On se surprend à les effleurer, puis les caresser en rêvant, et l'ivresse nous prend. Lorsque soudain on reprend conscience, on perd pied ; il est déjà trop tard. Reste à attendre au bas de la falaise, là où l'on est aveugle, là où notre voix solitaire se mue en échos, que l'on puisse deviner une lueur, tout petite, si petite, et tellement lointaine, tout en haut.
C'est l’œil de celui qui observe le fond de l'abîme, un rictus sur les lèvres.